Psychologie du travail 

Le changements dans les entreprises

 « C’est à la conduite du changement que l’on vérifie si, au-delà des slogans, l’Homme est réellement au cœur de l’entreprise« .

Les changements d’organisations se multiplient :  réorganisations d’activités « au fil de l’eau », issues du progrès continu ou du reengineering, restructurations, allant jusqu’à la suppression de sites ou d’activités, en particulier à la suite de la crise sanitair due à la COVID 19.

Ces changements ont des conséquences humaines le plus souvent lourdes. Le personnel impliqué dans ces changements ne devrait pas être passif mais le plus possible acteur: il y va de son intérêt, de sa dignité et de l’intérêt même de l’entreprise.

Cet article est adressé à tous les travailleurs et plus particulièrement à ceux qui ont à décider de conduire ou d’accompagner les changements d’organisations. 

1- TROIS REPERES  

 Reconnaissons que le monde est vivant, donc changeant…

La question de fond est l’adaptation permanente au monde contemporain et à ses évolutions. A une époque où le rythme des changements s’accroît sans cesse, une majorité de personnes n’y est pas naturellement adaptée.

Pour une part, l’adaptation au changement est fonction de la culture et de l’âge :

  • Pour certains, le changement est une catastrophe, une occasion de perdre beaucoup…
  • Pour d’autres, bien qu’accompagné d’incertitudes, le changement est une chance, une occasion d’amélioration, d’enrichissement et de challenge. C’est davantage dans les traits de caractère anglo-saxon, entreprenant et enthousiaste.
  • Sachons reconnaître cependant quede nombreux jeunes sont demandeurs de changement, pour voir du nouveau,  pour un meilleur équilibre de vie.

Par ailleurs, les réactions face au changement, dépendent beaucoup des aptitudes et des comportements individuels :

  • Un individu peut le supporter sans difficultés s’il dispose en lui de bases solides, de repères stables, d’invariants, de règles durables (les valeurs…); ce qui ne touche pas à cela demeure pour lui superficiel et peut donc être changé; ceux, de plus en plus nombreux, qui ne disposent pas de ces ancrages, souffrent, car ce sont leurs propres points d’appui qui sont ébranlés.
  • Tout travail sur soi-même qui accroît la liberté intérieure renforce aussi la tolérance au changement, celui-ci ouvrant un espace de liberté extérieure.

C’est la mission de chacun de participer à la construction du monde    

Prendre conscience de cette mission :         

. Donne sens au travail de chacun,

. Entraîne une responsabilisation des comportements.

Cette mission requiert l’adaptation au changement, mais assortie d’une solidarité accrue.

Celui qui s’adapte au changement a, la mission d’accompagner les autres, ses collaborateurs et aussi ses collègues, et de les aider à s’adapter, dans un esprit de solidarité.

A côté de la solidarité de la part des ntreprises, essentiellement financière, de la formation professionnelle en cas de besoins répertoriés, il y a place pour une solidarité de proximité (mon voisin de bureau, par exemple), qui demande plus au cœur qu’au portefeuille. Une telle attitude individuelle, si elle ne peut être imposée, devrait du moins être encouragée.

Parvenir à ce que l’individuel s’harmonise avec le collectif

Dans les changements, nous pouvons voir des opportunités d’une meilleure prise en compte des besoins individuels.

Le changement collectif requiert de résoudre tous les problèmes individuels.

Dans les grandes entreprises:

  La mobilité permet d’aboutir à une meilleure affectation; une réorganisation est alors une occasion de tenir compte des projets individuels.

  .   La formation relationnelle en entreprise (évaluation de comportements à 360° etc…) a des conséquences positives pour l’individu. Leurs répercussions se feront sentir jusque dans les familles.

  .  Le management par la qualité totale est fondé sur le progrès continu par et pour les hommes. Mais il n’est efficace que s’il est sincère et ne se mue pas en « Toyotisme » lequel « soigne la poule pour avoir ses œufs » et si le contrôle n’y étouffe pas la créativité.

                          2 –     « L’ENFER  » DES CHANGEMENTS

Rythme excessif des changements

Faut-il provoquer des changements alors même que l’environnement ne souffre pas de mutation ?

 La réponse est sans doute affirmative, car l’absence de changement sclérose les hommes et l’entreprise. Pourtant attention aux effets pervers ! Un rythme excessif de changements décourage ou stresse les hommes. Il désorganise l’entreprise. Il faut du temps pour assimiler un changement; et ce laps de temps dépend de la taille de l’unité.

Des objectifs irréalistes de profit, la saisie de toutes les opportunités d’achats ou ventes d’activités sans vision stratégique à long terme, l’ambition ou l’alibi d’un chef, sont à l’origine de changements préjudiciables.

Les réorganisations sous prétexte de résultat trimestriel inférieur à la prévision aggravent le plus souvent la situation.

Une meilleure prévision du coût humain de tout changement et du délai nécessaire, conduirait souvent à s’y prendre très différemment et peut être à y renoncer. 

En tous ces cas, il revient aux cadres et aux syndicats, de « tirer la sonnette d’alarme ».

Absence d’accompagnement

Le personnel souffre d’ajustements répétés, mal orchestrés, une autonomisation non recherchée, mal guidée, et plus encore d’une charge de travail mal mesurée.

Les managers se disent saturés; ils ne manquent pas de volonté ou de capacité d’écoute ? Ils négligent trop la formation et le temps nécessaire pour « retrouver ses marques ». 

Échecs de fusions

La manière de conduire le changement a des conséquences cruciales sur le résultat même du changement. 

De nombreux échecs de fusions sont dus à la brutalité de l’annonce qui en a été faite. On met les gens devant le « fait accompli », sans avoir élaboré un plan de communication accompagné d’un plan de formation.

Nous connaissons un cas de scission où la seconde étape d’absorptions a été tenue secrète, de sorte qu’il y a eu embauches, suivies de licenciements; il n’y avait pas de chef de projet !

3 –        SUR LA PISTE D’UNE MEILLEURE     CONDUITE DU CHANGEMENT,  QUELQUES PRINCIPES D’ACTION.

Convaincre et non contraindre

Un moral durablement dégradé rendra une meilleure organisation moins efficace que la précédente. Une équipe mal accueillie par une nouvelle unité la désorganisera.

Pour réussir un changement, la minorité qui veut changer ne devrait pas décider pour la majorité qui s’y refuse. Elle devrait d’abord devenir majoritaire. Pour atteindre cet objectif il convient de repérer et soutenir les leaders naturels acquis au changement et qui par là même seront capables de convaincre les autres de sa nécessité pour l’entreprise.

Nous passons normalement par des phases de résistance, d’inquiétude… Ensuite vient l’appropriation ! La direction doit comprendre l’émotion (individuelle) provoquée et donner le temps de la « recevoir » et la maîtriser. C’est d’autant plus vrai pour qui change d’entreprise, de site, ou de métier.

Mettre « cartes sur table « 

Les dirigeants n’annoncent souvent que les premières étapes d’un plan de restructuration globale. Ils pensent ainsi susciter moins de résistance et éviter des démissions prématurées nuisibles à l’entreprise.

C’est tout le contraire ! Si les dirigeants ne veulent pas ruiner leur capital de confiance, ils doivent en règle générale, mettre toutes les cartes sur la table. Il est en effet souhaitable de donner plus de temps pour se reclasser, à ceux qui partiront du fait des dernières étapes, mais sous réserve de réussir à conserver la clientèle sans laquelle le reste du personnel ne pourrait pas non plus rester.

Mais mettre « cartes sur table » ne va pas jusqu’à une transparence totale qui risquerait d’entraîner des fuites préjudiciables à l’entreprise, ou de stresser inutilement le personnel, si l’avenir est encore trop incertain. En effet l’information devrait toujours être honnête, prudente et utile à la fois au personnel et à l’entreprise.

 Trois impératifs sont souvent, à tort, négligés :       

Accroître, préventivement, l’employabilité

La formation diplômante, la pratique de la mobilité interne du personnel, du progrès en continu, arment le personnel si surviennent des restructurations, qui sont alors porteuses pour lui d’opportunités.

Accompagner « le deuil » de l’organisation antérieure

Les pratiques recommandées dans ce but appellent :

 Une réunion de « bilan collectif » où la direction donne les raisons pour lesquelles l’ancienne équipe « n’a pas démérité ».

 Un bilan individuel où la D.R.H note capacités acquises et projets individuels.

 Une sauvegarde du savoir-faire acquis par l’entreprise. La constitution d’une association d’anciens permettra de sauvegarder les liens affectifs.

 La constitution urgente de nouvelles équipes, s’engageant à la fraternité

Gérer les départs

  • L’entreprise survit grâce à ceux qui sont partis. Certaines entreprises continuent de s’intéresser à leur carrière ultérieure pendant 20 ans.
  • Une entreprise profitable devrait avoir une obligation de reclassement. Le plus social   serait     alors d’offrir à ceux qui le souhaitent le service de l’out-placement et de ne licencier qu’une fois le reclassement fait.  Des sociétés ont tenté cela et même n’ont mis en place une nouvelle organisation qu’après que tous les problèmes individuels aient été résolus.
  • Le choix de ceux qui restent résulte d’un compromis. Il est à réaliser entre, d’une part, les nouveaux chefs d’équipe qui connaissent et demandent les hommes les plus performants, et d’autre part les D.R.H. et syndicats qui connaissent les cas sociaux et ceux qui sont difficilement employables en dehors de l’entreprise, en raison de l’âge, du psychisme…
  • C’est ainsi que dans certaines entreprises Flamandes le choix des partants résulte d’une évaluation individuelle préalable. Cette évaluation comporte dix critères de même poids, dont cinq reflètent l’utilité de la personne pour l’entreprise, et les cinq autres sa difficulté de reconversion sur le marché extérieur de l’emploi. Les partants seront ceux qui ont obtenu la note totale la plus faible.
  • Certaines entreprises développent une activité d’intégration des exclus de la société; d’autres, au contraire, pratiquent la « décimation annuelle » des moins performants. Une telle pratique court le risque de susciter la servilité à l’égard des chefs, des rivalités et guerres de

« clans » internes …

4- PROPOSITIONS CONCRETES POUR RENDRE LES RESTRUCTURATIONS PLUS HUMAINES ET PLUS EFFICACES.

On a émis les douze propositions suivantes :

Expliquer les objectifs et impliquer le personnel en s’appuyant sur la hiérarchie.

  1. Il semble capital d’investir beaucoup de temps dans la clarification des objectifs. Expliquer l’intérêt stratégique du projet, son apport à chaque partenaire de l’entreprise (client, actionnaire, personnel, fournisseur, société…). Ce projet assure-t-il un meilleur contrôle de l’environnement ? Quoi qu’il en soit, il faut savoir que la réaction à la première annonce sera déterminante.
  2. Ensuite, convaincre progressivement tout le personnel, en s’appuyant sur la hiérarchie. Éviter une assemblée générale où des non-représentatifs pourraient se mettre en avant.

Mener le processus de restructuration comme un projet ayant des enjeux humains.

  • Au niveau direction, voir comment associer un projet humain au projet financier.
  • Afficher comment seront choisis et accompagnés   pour les reclasser ceux qui seraient laissés pour compte.
  • Prendre en compte les projets individuels, pour affecter chacun à la place qui lui correspond au mieux.
  • Conduire le processus comme un projet : avec un chef de projet, un planning, un budget, un plan de communication, un plan de formation et un plan d’action …
  • Les cadres et les syndicats doivent appuyer le chef de projet pour obtenir de la direction les délais, moyens et investissements nécessaires.
  • Apprendre comment arrêter avec le plus de dignité possible l’activité de l’ancienne équipe (« travail de deuil ») et constituer la nouvelle avec le même doigté : choix d’un leader charismatique, acceptation mutuelle des membres, « team building ».

Faire participer au projet de façon active le personnel et ses représentants.

  • L’appropriation par le personnel ne peut se faire que s’il lui reste des décisions à prendre sur   la mise en œuvre du projet (conditions de vie, formation, délais, …)
  1. Dans le cas d’une réorganisation interne, on peut sans doute aller plus loin dans la participation si le progrès continu en a donné l’habitude. On peut, par exemple, réunir le personnel d’un service pour concevoir la réorganisation, étant précisé que chacun oublie sa casquette et participe avec une intelligence désintéressée au service de l’avenir.
  1. Pour éviter tout « délit d’initié » ou « d’entrave aux codes «, la direction peut annoncer simultanément au comité central d’entreprise et à la presse financière le cadre général d’une réorganisation. Elle déléguera ses modalités d’application au niveau des unités opérationnelles. L’équipe projet consultera le personnel concerné, et la direction opérationnelle négociera avec les délégués.
  1. La direction devrait s’appuyer sur les syndicats conscients que l’immobilisme mène à la mort. 

  En cas d’opposition syndicale au principe même du projet, la direction doit veiller à disposer d’une voie de recours pour le personnel, autre que « l’équipe projet ».

En bref : 

  • L’entreprise doit, pour survivre, adapter sans relâche son organisation.Mais une réorganisation ne peut être entreprise à la légère. Il faut se poser la question de savoir si elle est un   bénéfice pour les clients, les actionnaires, le personnel ? Quant aux coûts et délais de transition ont- ils été évalués avec réalisme?

 Il est bon que la réorganisation soit ensuite conduite comme un projet. La majorité du personnel devra se l’approprier et pour cela être consultée sur les modalités.

  • Le changement sera toujours vécu de manière ambivalente. Une minorité de promus y verra une chance; mais les autres la vivront comme une épreuve, qui génère crainte et angoisse. Changer tout à la fois d’équipe, de chef, parfois de site ou de métier n’est pas facile; quant aux exclus, pour eux c’est le plus souvent un drame. La direction ne devrait pas « laisser tomber » les victimes, mais s’en occuper en première urgence, comme des blessés au combat
  • Il n’en demeure pas moins que le changement est une occasion de renouvellement, de liberté, de progrès pour soi et pour les autres. Il peut devenir une occasion de solidarité et engendrer alors une espérance renouvelée.

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