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« Janazet Ayoub » : au TNA, une comédie funèbre où l’héritage fait voler la famille en éclats

Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a fait salle comble vendredi dernier à l’occasion de la générale de Janazet Ayoub, la plus récente création d’Ahmed Rezzak, qui signe à la fois le texte et la mise en scène. Avec pas moins de vingt-et-un comédiens en plateau, la troupe a donné vie à un spectacle foisonnant, orchestré à la manière d’un chaos maîtrisé où les voix s’opposent, s’enchevêtrent et se défont pour mieux exposer les fissures d’une famille et, à travers elle, d’une société entière.

La pièce s’ouvre sur les funérailles du patriarche Ayoub, interprété par El Hani Mahfoud. Étendu sur scène, le corps du défunt devient l’axe autour duquel gravitent épouses, enfants, voisins et petits-enfants. Mais le silence du recueillement est rapidement bousculé par une avalanche de mensonges, de rancunes et de vérités longtemps tues. Ayoub, polygame assumé, a passé sa vie à espérer un héritier masculin. Les naissances féminines se sont succédé, alimentant jalousies et frustrations au sein d’un foyer éclaté, jusqu’à la venue tardive du fils tant attendu, Salim (Mohamed Haouas). À sa mort, ces tensions enfouies ressurgissent avec violence, transformant la cérémonie en véritable champ de bataille autour de l’héritage.

Dans ce huis clos familial, tout devient prétexte à réécrire l’histoire. Chacun tente de modeler la mémoire du défunt à son avantage, révélant un Ayoub complexe, tour à tour protecteur, autoritaire, ou simplement dépassé par ses propres obsessions. Peu à peu, le conflit dépasse la simple figure du patriarche pour interroger les structures mêmes du pouvoir familial : le poids du patriarcat, les hiérarchies entre garçons et filles, et la place fragile accordée à la femme dans l’imaginaire domestique.

La mise en scène d’Ahmed Rezzak, volontairement sombre et presque étouffante, vient contraster avec le ton burlesque de nombreuses scènes. Ce choix crée un effet de double niveau, entre rire frontal et critique sociale sous-jacente. Si la polyphonie dramatique peut parfois donner le sentiment de se disperser, elle participe aussi à cette impression d’encombrement émotionnel qui constitue la signature du spectacle.

Côté interprétation, les performances se révèlent inégales, mais plusieurs comédiens tirent nettement leur épingle du jeu. Hamid Achouri, dans le rôle du voisin envahissant, apporte une précision comique salutaire, tandis que Lynda Sellam s’impose avec naturel en grand-mère. Feriel Medjadji offre une prestation incarnée et corporelle dans le rôle de Djaâfar, et Samira Sahraoui donne un relief appréciable à la voisine commère grâce à un jeu d’une grande finesse.

Entre satire et lucidité, Janazet Ayoub dresse un portrait sans fard des contradictions d’une société encore prisonnière de ses archaïsmes. Un spectacle dense, parfois débordant, mais profondément humain, qui pourrait, avec quelques affinements, rejoindre les productions les plus abouties du TNA.

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