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La poésie dans l’édition algérienne : un art discret mais indélogeable

Longtemps pilier de l’expression culturelle en Algérie, la poésie occupe aujourd’hui une place modeste dans le circuit éditorial national. Héritière d’une tradition à la fois orale et écrite, elle demeure un marqueur identitaire fort, malgré un lectorat restreint et un marché du livre dominé par des impératifs de rentabilité et de visibilité. Dans un contexte éditorial fragile, où les politiques publiques soutenant la création littéraire restent limitées, la question de sa véritable place continue de se poser.

Entre passion éditoriale et marché contraint

La plupart des éditeurs refusent pourtant de réduire la marginalisation de la poésie à de simples considérations économiques. Pour Naima Beldjoudi, des éditions El Kalima, la réalité est plus nuancée : la publication de recueils reste inférieure à celle du roman ou de la nouvelle, mais la maison s’efforce de maintenir un équilibre. Selon elle, la demande demeure faible, y compris parmi les poètes eux-mêmes, peu enclins à lire ou acheter leurs pairs. Cela n’empêche pas El Kalima de publier régulièrement des auteurs majeurs tels que Mohamed Dib, Jean Sénac, Mustapha Lacheraf ou encore des textes inédits de Mouloud Feraoun, tout en donnant leur chance à de jeunes voix.

Chez Barzakh, la responsable Selma Hellal parle d’un genre « peu vendeur », souvent dépendant d’élans passionnés ou d’opportunités financières ponctuelles. Chaque recueil publié représente un véritable pari. Elle souligne également le rôle essentiel du poète dans la promotion de son œuvre, regrettant l’absence de lieux de rencontres, de cafés littéraires ou d’espaces dédiés à la lecture publique qui pourraient revitaliser ce lien avec les lecteurs.

Un genre qui persiste, porté par des éditeurs convaincus

En un quart de siècle, Barzakh a néanmoins défendu de nombreuses plumes poétiques, parmi lesquelles Samira Negrouche, Lazhari Labter, Malek Alloula ou encore Souad Labbize, dont un recueil trilingue a récemment été réédité.

De son côté, Karim Chikh, des éditions APIC, rappelle que l’intérêt pour la poésie n’a jamais disparu. APIC a publié notamment Anouar Benmalek et Youcef Merahi, et mène depuis 2018 une ambitieuse collection « Poèmes du Monde », forte de sept titres annuels. Pour Chikh, la poésie conserve une nécessité universelle : « Le monde continuera à lire de la poésie. Si nous pensions seulement en termes de rentabilité, nous ferions un autre métier. »

Le rapport du lecteur, un enjeu central

Pour Ahmed Boudermine, directeur de Dar El Qobia, la question dépasse le cadre éditorial et touche au rapport du public algérien au genre poétique. Malgré la faiblesse du marché, sa maison continue de publier en arabe, en français et en tamazight, tout en proposant des formats hybrides mêlant poésie et nouvelle afin de capter un lectorat plus large. Lui aussi relativise l’enjeu financier : dans un secteur éditorial globalement peu lucratif, affirme-t-il, rares sont les éditeurs qui parviennent à vivre de leur activité sans soutien public.


Un patrimoine littéraire à réinventer

Si la poésie reste discrète dans les catalogues, elle demeure un territoire d’expression important et un élément constitutif du paysage littéraire algérien. Entre la conviction des éditeurs, l’engagement des auteurs et la nécessité de renouveler les espaces de médiation culturelle, le genre continue d’exister, parfois à contre-courant, mais toujours avec la même force symbolique.

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