Salah Laghrour : “Écrire notre histoire est un devoir de mémoire”
L’écrivain originaire des Aurès témoigne de son enfance durant la guerre de Libération et consacre son œuvre à préserver la mémoire de cette région meurtrie.
Au Salon international du livre d’Alger (Sila), Salah Laghrour attire l’attention par la profondeur de ses récits et la sincérité de son témoignage. Né en 1947 dans les Aurès, il appartient à cette génération marquée à vie par la guerre de Libération. Auteur de quatre ouvrages, il s’attache à faire revivre, à travers son écriture, la mémoire d’un territoire et d’un peuple bouleversés par la violence coloniale.
L’enfance dans la guerre
Dans son dernier livre, Grandir dans les Aurès : L’Envol, publié aux éditions Chihab, Laghrour poursuit le récit entamé avec Un enfant dans la guerre (2024). Il y raconte la suite de son parcours, depuis son enfance marquée par la guerre jusqu’à son départ pour l’Égypte, où il poursuivra ses études après avoir obtenu difficilement son certificat d’études en 1964.
« J’ai quitté l’Algérie à 17 ans, avec un grand retard scolaire, mais avec l’envie de comprendre le monde, de reconstruire après tant de souffrances », confie-t-il.
Des camps de regroupement à la déportation
L’un des passages les plus forts de son témoignage évoque le camp de M’toussa, où sa famille fut déplacée dès 1954. « Ce n’était pas un simple regroupement, mais une déportation », insiste l’auteur.
Les autorités coloniales avaient contraint les habitants à quitter leurs villages pour isoler les maquisards. « Les hommes de plus de 18 ans étaient envoyés dans des camps de concentration, puis les familles suivaient. »
Enfant, il a tout vu, tout retenu. « Je me souviens de la mort de ma sœur et de mon oncle, de ma mère tenant dans sa main la cervelle de son frère. Ces images ne s’effacent jamais », dit-il avec émotion.
Les enfants, témoins oubliés
Salah Laghrour écrit depuis la perspective rarement entendue de l’enfant dans la guerre.
« Comme les adultes, nous avons subi les affres du colonialisme. Mais notre voix est restée silencieuse », explique-t-il.
Ses livres se veulent ainsi un acte de résistance contre l’oubli : « J’écris pour donner une voix à ces enfants devenus acteurs malgré eux. »
“Les femmes, piliers invisibles de la lutte”
Dans ses ouvrages, l’auteur rend un hommage appuyé aux femmes des Aurès, mères, sœurs ou épouses de maquisards.
« Elles étaient les piliers invisibles de la résistance, affrontant chaque jour la peur, la faim et l’humiliation. Ma mère, qui a attendu le retour de mon frère jusqu’à sa mort, symbolise pour moi cette force silencieuse », souligne-t-il.
Entre histoire et mémoire
L’un des premiers livres de Laghrour, Abbès Laghrour : du militantisme au combat en Wilaya I, retrace la vie de son frère aîné, compagnon de lutte de Mostefa Benboulaïd. « Écrire sur lui, c’est difficile, car c’est mêler l’intime et l’histoire. Mais je m’efforce de rester juste et fidèle à la vérité des faits. »
Pour Salah Laghrour, l’écriture dépasse la simple narration : elle devient un acte de mémoire.
« J’écris pour ceux qui ne peuvent plus parler : ma sœur, mon oncle, toutes les familles anéanties. L’écriture est ma façon de résister à l’oubli. Écrire notre histoire, c’est un devoir. »
