Le patrimoine vestimentaire algérien mis à l’honneur à Béjaïa : une célébration de l’identité, de l’artisanat et de la mémoire collective
Pendant trois jours, la ville de Béjaïa s’est transformée en véritable écrin du patrimoine vestimentaire algérien à l’occasion d’un salon exceptionnel organisé par l’association « El Amal » pour le développement de Béjaïa. Cette manifestation culturelle a rassemblé un large public curieux, passionné ou simplement désireux de redécouvrir les trésors textiles du pays. L’événement a accueilli des dizaines d’artisans venus de pas moins de 19 wilayas d’Algérie, venus partager leur savoir-faire et exposer la richesse des tenues traditionnelles portées par les femmes dans les différentes régions du pays.
Ce rassemblement unique en son genre a permis de dresser un panorama haut en couleurs de l’habit féminin traditionnel algérien, dont la diversité témoigne d’une richesse culturelle profondément enracinée dans l’histoire et les pratiques sociales locales. Le public a ainsi pu admirer un éventail impressionnant de costumes traditionnels, soigneusement conservés ou revisités par des artisans talentueux qui perpétuent un patrimoine vestimentaire menacé par l’uniformisation culturelle contemporaine.
Dans son discours d’ouverture, Omar Reghal, directeur de la culture et des arts de la wilaya de Béjaïa, a tenu à souligner la valeur identitaire et symbolique de ces tenues. Selon lui, « ce panorama d’habits traditionnels renseigne non seulement sur la créativité des artisans nationaux à travers le temps, mais condense et exprime une appartenance, un goût, et une fonction sociale ». Il a également insisté sur l’idée que cette richesse et cette variété ne sont pas le fruit du hasard, mais qu’elles incarnent profondément « l’unicité de l’âme algérienne », une âme façonnée par les siècles, par les influences régionales, ethniques et historiques qui ont modelé l’Algérie d’aujourd’hui.
Le salon-exposition s’est révélé être un véritable voyage sensoriel à travers les différentes régions du pays. Les organisateurs ont pris soin de mettre en scène les tenues emblématiques en les juxtaposant de façon à faire dialoguer les styles, les couleurs, les matières et les symboles. Parmi les pièces phares exposées, les visiteurs ont pu admirer la somptueuse Chedda tlemcenienne, costume de mariée emblématique de l’Ouest algérien, riche en ornements et en broderies, véritable chef-d’œuvre d’orfèvrerie textile.
À ses côtés, le Karakou algérois, avec ses tissus veloutés, ses coupes ajustées et ses broderies dorées délicates, représentait l’élégance raffinée de la capitale. Non loin de là, la Djeba kabyle, dans toute sa splendeur colorée, témoignait de l’art du tissage et de la broderie berbère, symbole d’une culture millénaire transmise de génération en génération. La Melhfa, quant à elle, se déclinait en plusieurs versions régionales : celle de Constantine, aux teintes vives et au drapé majestueux, celles des Aurès, plus sobres et enracinées dans les traditions montagnardes, ou encore celle des Ouled Naïl à Djelfa, richement accessoirisée et associée à des parures tribales caractéristiques.
Le public a également pu s’émerveiller devant les gandouras traditionnelles, et en particulier celle de Constantine, réputée pour la finesse de ses broderies et la noblesse de ses tissus. Ces pièces, au-delà de leur beauté esthétique, racontent l’histoire des femmes algériennes : leur rôle dans la société, leur rapport au sacré, à la fête, au quotidien, et leur lien à la terre et à la communauté. Chacune de ces tenues est une archive vivante, un support de transmission de la mémoire collective, un reflet de l’histoire locale.
Mais ce salon n’était pas seulement une exposition. Il a été conçu comme un espace de dialogue et de transmission intergénérationnelle. Pour cela, plusieurs conférences-débats ont été organisées tout au long de l’événement, réunissant universitaires, chercheurs en anthropologie, stylistes, artisans, mais aussi de jeunes créateurs en quête d’inspiration. Ces rencontres ont exploré les dimensions multiples du vêtement traditionnel, non seulement sous l’angle esthétique, mais aussi dans leurs implications sociologiques, historiques, culturelles et artisanales. On y a discuté du rôle de l’habit dans les rituels sociaux (fiançailles, mariages, fêtes religieuses), de la fonction identitaire des motifs et des couleurs, mais aussi des défis liés à la conservation et à la transmission de ce patrimoine textile.
L’un des objectifs affichés de ces échanges était de susciter des vocations chez les jeunes générations. Il s’agissait de montrer que l’habit traditionnel, loin d’être un objet figé dans le passé, peut devenir une source d’inspiration contemporaine. En réinterprétant les formes, en modernisant les coupes ou en adaptant les broderies aux goûts actuels, les jeunes stylistes peuvent contribuer à faire revivre ce patrimoine, tout en participant à la valorisation économique des métiers artisanaux souvent relégués au second plan. La tenue traditionnelle peut ainsi devenir un vecteur de développement culturel et économique, notamment à travers l’essor de la mode éthique et locale.
Cette manifestation a également été l’occasion de sensibiliser le public à l’importance de préserver ces traditions, à un moment où la mondialisation tend à uniformiser les styles et à faire disparaître les spécificités culturelles locales. L’un des enjeux majeurs soulevés est la nécessité de documenter ces tenues, de les cataloguer, de les numériser et de les transmettre, non seulement à travers des expositions, mais aussi par des programmes éducatifs, des formations artisanales et des événements populaires.
En somme, le salon du costume traditionnel de Béjaïa a été bien plus qu’un événement culturel ponctuel. Il s’est affirmé comme un acte de résistance douce, un geste de réappropriation de l’histoire vestimentaire algérienne dans toute sa complexité et sa beauté. Il a permis de tisser des liens entre les régions, entre les générations, entre les savoir-faire anciens et les ambitions contemporaines. Il a rappelé que le vêtement n’est jamais neutre : il est un langage, un symbole, une mémoire cousue main.
Ce type d’initiative, porté par des associations comme El Amal, mérite d’être encouragé, soutenu et multiplié, car il contribue non seulement à renforcer l’unité culturelle nationale à travers la diversité régionale, mais aussi à positionner le patrimoine immatériel algérien comme un pilier essentiel de l’identité collective.