Malika Rahal et Fabrice Riceputi à Alger : Un débat sur les disparitions forcées en Algérie
Par : Amani H.
Malika Rahal et Fabrice Riceputi, deux historiens engagés dans la lutte pour la vérité historique, étaient récemment à Alger pour discuter de leur projet Mille Autres, une initiative qui s’intéresse aux disparitions forcées pendant la guerre d’Algérie, en particulier durant la Bataille d’Alger. Organisée par la librairie L’Arbre à dire, cette rencontre a permis d’approfondir la question des disparitions, un sujet longtemps occulté dans le récit officiel de l’histoire de l’Algérie coloniale.
Le projet Mille Autres (1000autres.org) a pour objectif de recueillir les témoignages des familles des victimes, afin de retracer les trajectoires tragiques des disparus, dont le sort reste souvent incertain, des décennies après la guerre d’Algérie. Il met l’accent sur les événements de la Bataille d’Alger, où des milliers de personnes ont été enlevées, torturées et exécutées par l’armée coloniale française, sans que leurs familles ne sachent ce qu’il leur est advenu.
L’histoire des disparitions forcées : Un passé à exhumer
Malika Rahal, historienne et spécialiste de la guerre d’Algérie, a souligné l’importance de ces disparitions forcées dans la construction du récit historique algérien. À travers des travaux comme sa biographie d’Ali Boumendjel, un leader nationaliste algérien enlevé et tué par les forces françaises, elle met en lumière non seulement les exactions commises pendant la guerre, mais aussi les répercussions à long terme sur les familles des victimes. « On ne disait pas spontanément qu’Ali Boumendjel était un disparu, mais bien qu’il a été victime d’une disparition forcée », a-t-elle expliqué, rappelant que ces violences étaient systématiques et délibérées.
Fabrice Riceputi, historien et auteur de Le Pen et la Torture, a évoqué la manière dont la France a tenté de masquer ces disparitions à travers des archives soigneusement effacées. La découverte fortuite de documents aux Archives nationales d’Outre-mer en 2018, notamment des fiches de personnes enlevées par l’armée, a permis à Riceputi de lancer ce projet de collecte de témoignages. « Ce que nous avons trouvé est une preuve supplémentaire de la violence institutionnalisée de l’armée française pendant la guerre d’Algérie », a-t-il déclaré lors de la rencontre. Ces fiches, souvent associées à des disparitions violentes, ont révélé l’étendue du système de répression mené par l’armée française.
L’impact des disparitions sur les familles
Un des aspects essentiels du projet Mille Autres est la façon dont il permet aux familles des disparus de faire leur deuil et de rétablir la vérité sur le sort de leurs proches. De nombreux témoins, notamment des jeunes générations, ont exprimé leur angoisse face à la perte irrémédiable de cette mémoire familiale, surtout avec la vieillesse des témoins directs. Ces disparitions n’ont pas seulement affecté les générations immédiates, mais ont aussi marqué profondément les jeunes générations qui portent encore le fardeau de ces silences.
L’initiative a permis à des enfants de disparus de retrouver des informations sur leurs parents disparus, souvent après des décennies de silence et de dissimulation. Un témoignage poignant a été celui d’une femme qui a retrouvé, grâce au site Mille Autres, la fiche de son père, Abderrahmane Rebaine, disparu en février 1957. Ce type de témoignage est représentatif de l’impact de ces disparitions sur plusieurs générations, qui continuent de lutter pour la reconnaissance et la mémoire.
L’importance de la mémoire collective
Le travail entrepris par Malika Rahal et Fabrice Riceputi est crucial pour l’histoire de l’Algérie, car il s’agit de restaurer la mémoire collective d’un peuple trop longtemps privé de vérité. En collectant les témoignages des familles, Mille Autres devient un moyen de mettre en lumière une partie de l’histoire coloniale qui a été systématiquement ignorée, voire effacée. « Ce projet est un pas vers la réparation », a affirmé Rahal, soulignant la nécessité de reconnaître cette part tragique de l’histoire de l’Algérie, afin que les familles puissent enfin faire leur deuil et que le pays puisse avancer vers une réconciliation vraie et profonde.
Une reconnaissance nécessaire
La rencontre à Alger a été l’occasion de rappeler que les disparitions forcées ne sont pas simplement un événement historique du passé, mais un traumatisme toujours vivant dans la mémoire collective. Le projet Mille Autres poursuit son travail de documentation et de collecte de témoignages, un travail fondamental pour restaurer la vérité historique et permettre à des milliers de familles algériennes de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches disparus. C’est aussi un moyen pour les historiens de lier ces témoignages à une reconnaissance officielle, dans l’espoir que la France reconnaisse enfin la responsabilité de son armée dans ces disparitions forcées.
