17 2Actualités Culture 

D’Adrar à Tamantit : sauver les manuscrits, sauvegarder la mémoire

De la capitale du Touat aux oasis environnantes, le Centre national des manuscrits d’Adrar mène un travail discret, mais essentiel : préserver, restaurer et numériser un patrimoine qui menace chaque jour de disparaître.

Un centre méconnu, un travail colossal

Sous un soleil d’hiver doux et lumineux, la visite du Centre national des manuscrits révèle une activité intense. Dans le hall, l’odeur du papier ancien rappelle immédiatement la fragilité du trésor conservé ici. Le directeur, Abderrahmane Allali, souligne que plus de 13.000 manuscrits ont déjà été numérisés à travers le pays.
Le centre a également catalogué près de 1.000 pièces et photographié plus de 1.000 manuscrits consultables sur place, en plus des collections numériques fournies par la Bibliothèque nationale, l’Université d’Adrar et de nombreux partenaires.

Pour Allali, la mission est claire : « Numériser pour préserver, afin de permettre aux chercheurs d’accéder aux documents sans risquer d’altérer les originaux ». La manipulation répétée restant la première source de détérioration.

Le laboratoire où renaît la matière fragile

Au cœur du centre, le laboratoire dévoile les secrets d’un savoir-faire précis et patient. Abdelwahab Allali, conservateur du patrimoine, détaille les étapes minutieuses de traitement :
– nettoyage à sec ou humide,
– restauration manuelle pour les pièces les plus rares,
– restauration mécanique pour les documents trop fragiles,
– numérisation haute résolution, véritable assurance-vie en cas de catastrophe,
– conditionnement en boîtes adaptées.

Toutes les interventions suivent les normes internationales : respect de l’historicité, matériaux naturels, opérations réversibles. L’objectif est double : constituer une base de données nationale unifiée et garantir l’authenticité des œuvres, souvent présentes en plusieurs versions dans des bibliothèques privées ou publiques.

Dans la salle d’exposition, des panneaux rappellent l’ampleur du travail d’urgence réalisé après l’incendie d’une khizana locale. Photos des murs noircis, reliures brûlées, pages aux bords calcinés : autant d’images illustrant la vulnérabilité du patrimoine. Le centre a également initié des rencontres avec propriétaires de bibliothèques privées, Protection civile et douanes pour former à des gestes essentiels : éviter l’eau, préférer les poudres sèches, manipuler délicatement les documents.

Tamantit : à la rencontre des lignées savantes

À une dizaine de kilomètres au sud d’Adrar, l’oasis de Tamantit perpétue une longue tradition intellectuelle. Dans la bibliothèque «Cheikh Sid Ahmed Didi», Salem Ould Belkacem, héritier d’une famille de savants, rappelle que les lieux prolongent l’héritage de la zaouïa de Sidi El Bekri, fondée à la fin du XVe siècle.

Au XVIIe siècle, la bibliothèque comptait 3.600 volumes couvrant toutes les disciplines : Coran, hadith, grammaire, linguistique, fiqh, fatwas, histoire. Gérée pendant des siècles par des érudits de la famille, elle a subi en 1828 une division entre branches familiales, source de pertes et de négligences accentuées par le climat et les micro-organismes.

Aujourd’hui, la branche de Sidi Ahmed Didi préserve encore un ensemble précieux de manuscrits copiés et commentés par ses ancêtres. La collaboration avec le Centre national des manuscrits a permis d’inventorier, nettoyer, restaurer et numériser des collections entières, comme celles de la bibliothèque Ibn Brahim Oulad Belkacem El Azzi à Ksar El Mrabtine.

Une chaîne de vigilance pour un trésor national

Pour Ould Belkacem, la survie de ce patrimoine exige une alliance permanente : « Inventaire, conservation physique et numérisation : c’est la seule voie. Ce patrimoine appartient à tous». De la patience des restaurateurs aux familles dépositaires du savoir, une chaîne humaine relie méthodes modernes et fidélité aux lignées savantes.

Dans ces salles où flottent l’odeur du papier ancien et des siècles de poussière, la mémoire algérienne lutte pour durer. Face aux risques d’incendie, d’insectes ou de dégradation naturelle, le travail du Centre d’Adrar et la détermination des bibliothèques familiales du Touat forment aujourd’hui une véritable stratégie nationale de sauvegarde.
Chaque jour, des mains patientes ravivent la lumière d’un héritage pluriséculaire auquel l’Algérie accorde, plus que jamais, la valeur qu’il mérite.

Articles relatifs

Leave a Comment