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À l’ère de l’intelligence artificielle, les Algériens restent fidèles au livre papier

Alger – Alors que les écrans, les algorithmes et l’intelligence artificielle façonnent les habitudes de lecture dans le monde, les Algériens continuent d’affirmer leur attachement au livre papier. La dernière édition du Salon international du livre d’Alger (SILA) en a offert la démonstration éclatante, attirant un public exceptionnellement nombreux et diversifié.

Considéré comme le plus grand événement culturel du pays, le salon a connu cette année un souffle de modernité : plus d’activités interactives, une meilleure organisation, et surtout une forte présence des jeunes et des adolescents, venus à la rencontre de leurs auteurs préférés, souvent découverts sur les réseaux sociaux.

Le livre résiste à la tentation du numérique

Les écrivains et éditeurs présents, venus d’Algérie et d’ailleurs, se sont dits impressionnés par la ferveur du public. « Dans un monde dominé par les écrans, voir tant de jeunes passionnés de lecture est une victoire culturelle », confiait un romancier invité.
Certains auteurs, tels que Nadjm Eddine Sidi Othmane, ont même connu un véritable succès de foule, leurs lecteurs se déplaçant de plusieurs wilayas pour obtenir une dédicace. « L’un d’eux a acheté douze exemplaires de mon livre Rafahiya Hadiya pour les offrir à ses amis », raconte-t-il avec émotion.

Entre culture et consommation

Mais derrière cet engouement populaire se cache un débat : le salon est-il encore un rendez-vous littéraire, ou est-il devenu un marché du livre commercial ?
Certains visiteurs rencontrés par Echorouk estiment que l’événement s’est transformé en une foire dominée par les romans légers et les ouvrages de “développement personnel” à la mode, souvent recommandés par des influenceurs sur Instagram. D’autres, au contraire, saluent une édition réussie tant sur le plan intellectuel que populaire, marquée par la diversité des visiteurs et une véritable curiosité de lecture chez les jeunes.

Des auteurs devenus des stars

Les files d’attente devant certains stands en disaient long sur la célébrité nouvelle de plusieurs jeunes auteurs. Beaucoup d’entre eux, issus des réseaux sociaux, ont su transformer leur notoriété numérique en succès éditorial. Des influenceuses comme Lubna, connue pour sa chaîne YouTube de récits sentimentaux, ont publié leurs propres recueils d’histoires, confirmant l’émergence d’un nouveau rapport entre littérature et médias numériques.

Des controverses et des best-sellers

L’un des livres les plus discutés de cette édition fut sans conteste L’Art de dompter l’homme de Khawla Bouguerra, dont le titre et la couverture — représentant une femme manipulant un homme comme une marionnette — ont provoqué un tollé.
Des critiques ont dénoncé une « image dégradante de l’homme » et une « vision erronée des relations humaines », tandis que d’autres ont défendu la liberté de création de l’auteure, rappelant qu’un titre provocateur ne préjuge pas du contenu.

Le livre scientifique en difficulté

Malgré cet enthousiasme général, plusieurs éditeurs reconnaissent un recul de l’intérêt pour les ouvrages scientifiques et académiques, jugés plus complexes et souvent plus chers. Pour y remédier, des remises importantes ont été proposées sur les livres spécialisés, les dictionnaires et les encyclopédies, mais les ventes restent dominées par les romans de fiction et les livres à succès sur les réseaux sociaux.

Le phénomène de la “bibliothèque aérienne”

Parallèlement, l’essor du numérique a inspiré de nouvelles pratiques : des jeunes entrepreneurs ont créé des services de “bibliothèque à distance”, achetant des livres au nom de clients ne pouvant se déplacer. Une page Facebook baptisée La Bibliothèque Aérienne a même professionnalisé ce service, prenant les commandes en ligne et livrant les ouvrages dans tout le pays.

Un succès populaire indéniable

Pour l’écrivain Abderrazak Boukeba, le SILA reste « la plus grande manifestation culturelle d’Algérie », une véritable fête populaire qui ne nécessite plus de publicité pour attirer les foules. « Même si certains viennent prendre des photos ou acheter des livres de cuisine, c’est déjà un succès : cela signifie que le livre fait encore partie de leur imaginaire collectif », explique-t-il.

Le journaliste et écrivain Ibrahim Garaa Ali partage cet avis :

« Nous avons dépassé le stade où il faut prouver le succès du salon. Le simple fait qu’il existe et rassemble autant d’éditeurs et d’auteurs prestigieux, nationaux et étrangers, est déjà une réussite culturelle majeure. »

Pour lui, le livre numérique ne remplacera jamais le papier :

« On a vu des enfants s’émerveiller devant un livre. Cela prouve que tout dépend de l’éducation : un enfant qu’on initie à la lecture grandira avec le livre comme meilleur ami. »

Une passion intacte pour le papier

En définitive, le Salon international du livre d’Alger 2025 aura confirmé que la lecture n’a pas dit son dernier mot.
Malgré la domination des écrans, le livre papier conserve en Algérie son prestige, sa chaleur et son pouvoir de rassemblement, entre héritage culturel et modernité.

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