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Centenaire de Frantz Fanon : la pensée vivante d’un homme en révolution permanente

ALGER – À l’occasion du centenaire de la naissance de Frantz Fanon (1925-2025), une table ronde hommage intitulée « La pensée de Frantz Fanon, les causes de libération et la critique du colonialisme et du néo-colonialisme » s’est tenue, avant-hier, à l’espace Esprit Panaf Frantz-Fanon du SILA.
Chercheurs, écrivains et universitaires s’y sont réunis pour revisiter l’héritage intellectuel et politique de celui qui demeure, plus d’un demi-siècle après sa mort, l’une des voix les plus puissantes de l’anticolonialisme et de l’émancipation des peuples.

Fanon, l’“outsider” universel

L’écrivain et journaliste américain Adam Shatz, auteur de Frantz Fanon. Une vie en révolutions (éditions Barzakh, 2025), a ouvert la rencontre aux côtés de Benaouda Lebdai et Wahid Ben Bouaziz.
Pour Shatz, son intérêt pour Fanon naît d’une relation de longue date avec l’Algérie, qu’il découvre en 2002. Il confie que son regard d’étranger lui permet d’approcher Fanon « avec une distance féconde », rappelant que celui-ci fut lui-même un outsider dans tous les lieux où il a vécu.

« Fanon a traversé plusieurs mondes – les Antilles, la France, l’Algérie, l’Afrique subsaharienne – et chacun a façonné sa pensée. Mais c’est en Algérie qu’il devient véritablement Fanon », explique Shatz.
Selon lui, sans l’expérience algérienne, l’auteur de Peau noire, masques blancs serait resté « un psychiatre antillais éclairé », alors que la révolution algérienne a fait de lui un penseur universel de la libération.

« Ses écrits sur la révolution algérienne ont transformé la perception internationale de la lutte de libération, tout comme Orwell l’avait fait pour la guerre d’Espagne », a-t-il souligné.

L’Algérie, matrice de sa pensée

Adam Shatz a rappelé que l’expérience de Fanon à l’hôpital de Blida-Joinville fut déterminante : elle lui fit découvrir « la force de la culture algérienne et la nécessité d’une psychiatrie ancrée dans les réalités locales ».
Face à la violence coloniale, Fanon perçoit dans le peuple algérien un modèle de résistance collective, de dignité et d’identité préservée.

Critique de l’assimilation antillaise et des limites de la négritude, il voit dans la lutte algérienne « un exemple de libération authentique, fondée sur l’action et non sur la nostalgie du passé ».

Pour Shatz, la pensée fanonienne conserve une actualité brûlante :

« Le monde reste traversé par les divisions coloniales, le racisme et les violences d’État – de Ghaza à d’autres territoires meurtris. Ce qui rend Fanon éternel, c’est son humanisme radical et sa sensibilité aux traumatismes des colonisés. »

La violence chez Fanon : une lecture à redécouvrir

L’universitaire Wahid Ben Bouaziz s’est attaché à déconstruire la lecture simpliste qui réduit Fanon à un apôtre de la violence.
Il a rappelé que chez Fanon, la violence n’est jamais une fin en soi, mais une réponse dialectique à la brutalité coloniale.

« Réduire sa pensée à un simple appel à la violence, c’est ignorer sa profondeur humaniste. Fanon analyse la violence comme un passage obligé vers la dignité et la reconstruction de l’humain », a-t-il insisté.

Un héritage ancré dans la mémoire algérienne

De son côté, Benaouda Lebdai, qui publiera en janvier 2026 une biographie de Fanon aux éditions Casbah, a mis en lumière la trace indélébile du penseur dans la culture et la littérature algériennes.
Il a rappelé que Kateb Yacine lui avait dédié un poème en 1962, et que son influence se retrouve chez Rachid Boudjedra, Malek Haddad, Mouloud Mammeri, Rachid Mimouni ou encore Maïssa Bey, qui a reconnu s’être inspirée de L’an V de la révolution algérienne pour l’un de ses romans.

Fanon, « né martiniquais et mort algérien », demeure, selon Lebdai, présent dans la mémoire collective nationale, à travers les nombreuses rues, écoles et institutions qui portent son nom, mais aussi dans le cinéma algérien, de Révolution Zendj de Tariq Teguia au film documentaire d’Abdenour Zahzah.

Une pensée pour aujourd’hui

Cette table ronde a mis en évidence la portée universelle et intemporelle de la pensée de Fanon : un intellectuel en révolution permanente, qui appelait à la fois à la décolonisation du monde et à la reconstruction de l’homme.
Plus qu’un hommage, l’événement a rappelé l’urgence de relire Fanon, non comme une figure du passé, mais comme un compagnon de lutte intellectuelle face aux dominations contemporaines.

« Lire Fanon, c’est apprendre à voir le monde autrement, à ne pas se résigner et à croire encore à la dignité humaine », ont résumé les participants.

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