Agriculture durable en Algérie : un virage stratégique face au changement climatique et à la dépendance alimentaire
Alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus ressentir – stress hydrique, baisse de la fertilité des sols, pressions démographiques et instabilité des écosystèmes -, l’Algérie engage une transition agricole majeure, fondée sur la durabilité, l’innovation et la souveraineté alimentaire. C’est ce que souligne l’expert Abdelhakim Moussaoui dans une analyse intitulée « L’agriculture durable, levier de la sécurité alimentaire en Algérie ».
Une agriculture confrontée à ses limites
Avec seulement 0,2 hectare de superficie agricole utile par habitant, l’Algérie figure parmi les pays les plus contraints de la Méditerranée. Le stress hydrique, avec moins de 500 m³ d’eau par habitant et par an, aggrave cette situation. S’ajoutent à cela une urbanisation galopante, la désertification, l’érosion des sols et une pression démographique croissante — la population devant atteindre 63 millions d’habitants d’ici 2050.
Bien que le secteur ait connu des progrès, notamment avec une croissance annuelle moyenne de 6 % de la production agricole au cours de la dernière décennie, il reste fortement tributaire des aléas climatiques et de facteurs structurels non résolus.
Des résultats encourageants, mais encore fragiles
L’agriculture représente aujourd’hui plus de 12 % du PIB national et fait vivre près d’un quart de la population active, répartie sur environ 1,2 million d’exploitations agricoles, dont la majorité sont de petite ou moyenne taille.
En matière de sécurité alimentaire, l’Algérie occupe la 54ᵉ place mondiale selon l’Indice global, devant la Tunisie, avec un taux de sous-alimentation inférieur à 2,5 %, ce qui reste meilleur que la moyenne régionale. Toutefois, cette performance reste fragile, minée par une forte dépendance aux importations (notamment en céréales et en produits laitiers) et par une flambée des prix qui impacte durement le pouvoir d’achat des ménages.
La dépendance alimentaire : un enjeu stratégique
Depuis 2000, plusieurs plans stratégiques – PNDA, politique de renouveau agricole, plan FELAHA – ont été mis en œuvre pour améliorer l’autonomie alimentaire. Pourtant, la facture des importations alimentaires reste élevée, atteignant déjà 6 milliards de dollars en 2008, et restant lourde malgré les efforts.
Des chocs géopolitiques récents, comme la guerre en Ukraine, ont mis en lumière la vulnérabilité de l’Algérie face aux perturbations des marchés mondiaux, soulignant l’urgence de renforcer la résilience nationale.
Vers des systèmes alimentaires durables
Face à ce constat, l’étude plaide pour une transition vers des systèmes alimentaires durables, basés sur :
- L’agroécologie : une agriculture plus respectueuse de l’environnement, adaptée aux conditions locales.
- La diversification des cultures, notamment à travers la promotion des produits du terroir.
- L’innovation technique, en particulier pour faire face aux pénuries d’eau via l’irrigation de précision ou l’utilisation des eaux usées traitées.
- La valorisation des savoir-faire traditionnels, notamment dans les oasis et les zones montagneuses, déjà adaptées aux environnements arides.
Cette mutation suppose également un désengagement progressif des intrants importés, coûteux et souvent inadaptés, pour renforcer l’autonomie des exploitations.
Un levier économique et social
L’agriculture durable ne se limite pas à une meilleure gestion des ressources naturelles : elle représente aussi une opportunité économique majeure. Elle peut :
- Réduire le déficit commercial ;
- Créer des emplois dans les zones rurales ;
- Freiner l’exode rural dans un pays où 70 % de la population sera urbaine d’ici 2050 ;
- Stabiliser les prix et sécuriser les approvisionnements internes.
Des leviers pour une transformation réussie
Pour réussir cette transition, l’étude insiste sur plusieurs leviers :
- L’ouverture aux investissements privés dans l’agriculture et l’agroalimentaire ;
- La libéralisation du financement agricole ;
- Le développement des partenariats public-privé ;
- La modernisation des filières, notamment via des infrastructures de stockage, transformation et distribution ;
- Une gouvernance plus inclusive, intégrant les acteurs locaux et garantissant une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
Conclusion : une équation à résoudre pour la souveraineté alimentaire
Si des progrès notables ont été réalisés, l’agriculture algérienne se trouve à un tournant historique. La réussite de sa transformation durable dépendra de sa capacité à produire plus, avec moins de ressources, dans un contexte climatique toujours plus contraignant.
La durabilité agricole n’est plus une option, mais une impérative stratégique pour assurer la souveraineté économique et alimentaire du pays dans les décennies à venir.
