Mila : Le paradoxe du marché des œufsEntre surproduction et flambée des prix, le désarroi des consommateurs
Par : Abdelouaheb.F
Dans la wilaya de Mila, l’œuf, aliment de base de la cuisine quotidienne, est en passe de devenir un produit de luxe. Les ménages, notamment à revenus modestes, peinent désormais à s’offrir une simple omelette. La plaque de trente œufs s’affiche à près de 600 dinars, une hausse fulgurante qui soulève colère et incompréhension chez les consommateurs. Pourtant, les chiffres officiels témoignent d’une abondance de production qui aurait dû, logiquement, stabiliser les prix.
Une production record.
Les données communiquées par la Direction des services agricoles de Mila dressent un tableau flatteur pour la filière avicole locale. La région dispose d’un cheptel de près de 4 000 poules pondeuses, qui ont produit pas moins de 48 millions d’unités d’œufs au cours du deuxième trimestre de 2025. Ce chiffre représente une nette progression par rapport à l’année précédente, confirmant la bonne santé d’un secteur essentiel pour l’alimentation locale.
Dans un marché normalement régi par la loi de l’offre et de la demande, une telle production devrait entraîner une baisse des prix ou, à tout le moins, une stabilisation. Or, la flambée constatée en cette période estivale semble défier toute logique économique. Pour de nombreux habitants, la situation frôle l’absurde : « On ne comprend plus rien, les œufs sont partout, mais les prix montent chaque semaine », se désole Ahmed, père de trois enfants rencontré au marché de Chelghoum-Laïd.
Rumeurs et spéculations.
Face à ce paradoxe, les spéculations vont bon train. La rumeur la plus répandue fait état d’exportations massives d’œufs vers la Tunisie voisine, ce qui raréfierait artificiellement le produit sur les étals locaux. Pour Yazid Ben Maamer, président du Conseil interprofessionnel de la filière avicole de Mila, cette explication ne tient pas : « C’est une pure propagande. Le ministre de l’Agriculture a déjà démenti toute exportation significative d’œufs. » Selon lui, les causes de la flambée seraient à chercher ailleurs, notamment dans les pratiques spéculatives de certains intermédiaires qui profitent de la confusion et de la peur des pénuries pour gonfler les marges. Benmaamar insiste sur un autre paradoxe : cette hausse des prix ne profite pas aux producteurs eux-mêmes. « Les éleveurs continuent à souffrir de l’augmentation des intrants, comme l’aliment pour volaille et l’énergie. Malgré les prix élevés au détail, beaucoup ont du mal à équilibrer leurs charges », explique-t-il.
Un marché déconnecté de la réalité
Cette situation crée un climat de défiance généralisée. Les consommateurs accusent les commerçants de spéculation, les producteurs pointent la hausse des coûts et l’absence de régulation, tandis que les autorités promettent des contrôles accrus sans pour autant enrayer la hausse. Pour les économistes locaux, cette flambée illustre un dysfonctionnement plus profond du marché des produits alimentaires en Algérie. « Même avec une production excédentaire, l’absence de transparence sur les circuits de distribution et l’accumulation d’intermédiaires conduisent à des prix artificiellement gonflés », analyse un économiste.