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L’artisanat des Ouled N’har, entre mémoire vivante et risque d’oubli

Dans cette région longtemps surnommée « la mer d’alfa », l’artisanat était autrefois au cœur de l’activité féminine et de la vie quotidienne. La natte, ou el Hssira, tissée à partir des fibres d’alfa, constituait une source de revenus essentielle pour les femmes des Ouled N’har. Utilisée pour tapisser sols et murs, elle donnait naissance à une variété d’objets artisanaux : sets de table, couffins, tapis, et bien plus encore.

Réputée dans toute la région de Tlemcen, la fabrication des nattes d’alfa était un art transmis de génération en génération. Les femmes n’hari, habiles et patientes, maîtrisaient parfaitement le tressage de cette matière typique du monde rural, exposant leurs produits dans les souks hebdomadaires. Aujourd’hui, cet artisanat est en voie d’extinction, menacé par la raréfaction de la matière première et la concurrence des produits modernes.

Le tapis, autre trésor du patrimoine artisanal local, suit malheureusement la même trajectoire. Confectionné sur un métier à tisser traditionnel en bois, il nécessitait un savoir-faire minutieux, des gestes répétés avec rigueur, et une grande créativité. De véritables chefs-d’œuvre naissaient entre les mains des femmes, vendus dans les marchés de Tlemcen. Pourtant, rares sont celles qui perpétuent aujourd’hui cet art. Sans une politique de sauvegarde, la disparition de cet héritage semble inévitable.

Chez les Ouled N’har, évoquer l’artisanat, c’est convoquer la mémoire du bon vieux temps, des femmes artistes, autonomes, battantes, qui ont su transformer la misère en création. C’est aussi se souvenir d’un passé douloureux, marqué par la guerre de libération.

La région frontalière de Tlemcen, allant d’El Aricha à El Abed, en passant par Sidi Djilali Bouihi, a été lourdement frappée par la guerre. La ligne Challe et la ligne Morice, hérissées de mines antipersonnel, de barbelés et surveillées nuit et jour, ont transformé cette terre en un champ de bataille. Ces dispositifs mortels installés par l’armée coloniale française pour empêcher les incursions des moudjahidine ont causé d’énormes pertes humaines.

Les familles de la tribu des Ouled N’har ont payé un lourd tribut : chaque maison, ou presque, compte un martyr tombé au champ d’honneur. Des noms comme Boukarabila, Bechlaghem, Tarchaoui, Largo ou Dich sont associés à cette mémoire vive de résistance et de sacrifice.

Aujourd’hui, ces terres minées ont été décontaminées et restituées à la nation. Elles accueillent désormais des projets agricoles, symboles d’un renouveau espéré. Mais pour que l’histoire ne s’éteigne pas avec les derniers témoins, pour que l’artisanat ne devienne pas un simple souvenir, il est urgent de mettre en place des structures de formation, des centres d’apprentissage, et des mécanismes de valorisation de ce patrimoine.

Préserver l’artisanat des Ouled N’har, c’est non seulement sauvegarder une mémoire culturelle, mais aussi offrir une perspective d’avenir à une jeunesse en quête de repères et d’identité.

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