Les foggaras : Un patrimoine hydraulique mondial menacé
Par : Amani H.
Les foggaras, ces remarquables systèmes d’irrigation ancestraux, sont depuis des siècles un élément essentiel de la gestion de l’eau dans le Sahara. Cependant, aujourd’hui, elles sont en grand péril, victimes de l’indifférence et du manque d’entretien. Ce patrimoine hydraulique unique, à la fois ingénieux et fondamental pour les oasis sahariennes, mérite une attention urgente pour assurer sa préservation.
Le professeur Remini Boualem, chercheur émérite et expert de la foggara à l’université Saâd Dahleb-Blida 1, sonne l’alarme sur l’état de ce patrimoine. « C’est notre histoire et notre culture qu’il faut absolument préserver avant qu’il ne soit trop tard », insiste-t-il. Selon lui, la foggara, un système complexe d’acheminement des eaux souterraines sans recourir à une source d’énergie extérieure, représente un véritable exploit hydraulique.
Les foggaras sont des galeries souterraines qui permettent de canaliser les eaux de la nappe phréatique vers les surfaces agricoles, généralement sans utiliser d’énergie, mais par simple écoulement gravitaire. Ce système unique a permis de nourrir les palmeraies et autres cultures des oasis du Sahara pendant des siècles. Le professeur Remini rappelle que le nombre initial de ces systèmes dépassait les 2400 en Algérie, mais qu’aujourd’hui, moins de 400 sont encore en activité, et certains experts estiment que seuls 200 à 300 peuvent être récupérés.
Une invention algérienne qui a marqué l’histoire de l’hydraulique
La foggara algérienne, selon le professeur Remini, est bien plus ingénieuse que d’autres systèmes similaires, comme le Qanat en Iran, d’où provient l’idée originale. Si la structure de base de la foggara présente des similitudes avec le Qanat, notamment dans le captage et la distribution de l’eau, elle se distingue par sa capacité à s’adapter aux conditions géographiques et hydrologiques particulières des régions sahariennes.
Le système a eu un impact majeur sur l’agriculture en permettant l’irrigation de zones arides. Toutefois, l’introduction de nouvelles technologies modernes, comme les motopompes et les forages, a contribué à l’extinction progressive des foggaras depuis les années 1950. Leur efficacité et leur durabilité n’ont pas été suffisamment reconnues, et aujourd’hui, des galeries s’effondrent, des seguias (canaux) se bouchent, et de nombreuses communautés rurales abandonnent ce système au profit de méthodes plus mécanisées mais moins durables.
Un patrimoine mondial à protéger
Le professeur Remini, qui a dédié une grande partie de sa carrière à étudier ces systèmes, plaide pour un classement des foggaras en tant que patrimoine mondial de l’humanité, soulignant leur importance non seulement pour l’Algérie, mais aussi pour le reste du monde. « Ce système ingénieux s’est propagé à travers 30 pays, allant de l’Asie centrale au Moyen-Orient, en passant par le Maghreb, l’Espagne et jusqu’à l’Amérique latine », précise-t-il.
Les foggaras sont essentielles à la survie des populations des régions désertiques, mais elles font face à des menaces multiples. Outre les problèmes techniques tels que l’effondrement des galeries et l’ensablement, elles souffrent également de facteurs sociaux tels que l’exode rural et le manque de main-d’œuvre qualifiée pour leur entretien. Sans des actions urgentes, la perte totale de ces systèmes pourrait se produire dans les dix prochaines années.
Des solutions pour la préservation
Le professeur Remini appelle à une prise de conscience nationale et internationale pour protéger ce patrimoine unique. Selon lui, des mesures immédiates sont nécessaires, telles que l’aménagement et le curage des galeries, ainsi que la mise en place de législations pour garantir la protection juridique de ces systèmes. « Il est impératif de restaurer et de préserver ces systèmes d’irrigation avant qu’il ne soit trop tard », conclut-il.
Ainsi, les foggaras, bien plus qu’un simple héritage technique, sont un témoignage de la résilience des populations sahariennes et une merveille de l’ingénierie hydraulique. Leur sauvegarde nécessite une action concertée pour préserver un élément crucial du patrimoine culturel et environnemental de l’Algérie et du monde entier.