Valorisation de la vase des barrages : un enjeu écologique et industriel au cœur du débat
Alors que la transition vers une économie circulaire et la préservation des ressources naturelles sont devenues des priorités nationales, un matériau longtemps considéré comme un simple déchet attire désormais l’attention des experts : la vase issue des opérations de dragage des barrages. Au ministère des Ressources hydriques, une journée d’études organisée par l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) a mis en lumière le potentiel inédit de cette matière, aujourd’hui envisagée comme une ressource stratégique pour plusieurs filières industrielles.
De déchet encombrant à ressource valorisable
Classée pendant des décennies parmi les « déchets spéciaux », la vase des barrages posait surtout problème : réduction de la capacité de stockage, multiplication des bassins de décantation mobilisant des dizaines d’hectares, coûts élevés du dragage…
Mais les travaux menés par l’université d’Aïn Témouchent, en partenariat avec Holcim El Djazair et l’ANBT, changent la donne. Selon ces recherches conduites par le Dr Hafida Marouf, la vase constitue une alternative viable à l’argile dans la fabrication de briques, de poterie, de céramique et même de ciment.
L’Algérie, pionnière du dragage dès 1850, s’apprête ainsi à devenir un pays innovateur dans la réutilisation de ces volumes considérables de vase déposés au fil des décennies.
Un envasement inévitable et coûteux
Pour le Pr Boualem Remini, l’envasement des barrages demeure un phénomène naturel, aggravé par les crues violentes caractéristiques de la région. D’où l’urgence de trouver des solutions à long terme pour gérer les millions de tonnes extraites chaque année.
Les chiffres communiqués par l’ANBT parlent d’eux-mêmes :
- 81 barrages gérés,
- une capacité théorique de 8,6 milliards de m³ d’eau,
- mais seulement 7,69 milliards réellement exploitables en raison d’un envasement moyen de 17 %,
- soit plus de 1,7 milliard de m³ de vase accumulée.
Chaque mètre cube de vase extrait coûte environ 600 DA, sans compter les terrains nécessaires pour les bassins de décantation. Un fardeau financier considérable.
Des débouchés prometteurs : agriculture, briques, ciment…
Les applications potentielles de la vase sont multiples. Dans l’agriculture d’abord : un agriculteur ayant expérimenté son utilisation comme engrais a vu ses rendements passer de 18 à 50 quintaux à l’hectare.
Dans l’industrie ensuite : poterie, céramique, briques à cuisson réduite ou sans cuisson grâce au géopolymère.
Mais l’innovation la plus prometteuse concerne la substitution de l’argile dans les cimenteries. Les essais réalisés avec 12 000 tonnes de vase d’Oggaz puis 220 000 tonnes de M’Sila ont confirmé son efficacité. Selon le directeur général d’Holcim El Djazair, une cimenterie peut utiliser en moyenne 300 000 tonnes de vase par an, réduisant de 50 % les extractions d’argile. Une tonne de vase équivaut à 0,7 tonne d’argile.
Au total, l’Afrique du Nord pourrait valoriser jusqu’à 120 millions de tonnes de vase par an, dont 30 millions pour l’Algérie.
Une législation encore en retard sur la réalité
Si le potentiel est désormais démontré et que l’intérêt industriel se confirme — y compris à l’étranger, en Tunisie, Espagne, Allemagne ou Slovénie — un obstacle majeur demeure : le cadre réglementaire.
Interrogé sur ce frein, le directeur général de l’ANBT, Abdelatif Azira, a été clair :
« Notre mission est la gestion des barrages et des eaux superficielles. Pour pouvoir exploiter et commercialiser la vase, nous devons mettre à niveau la législation avec le ministère de l’Environnement et les Domaines. »
D’après lui, plusieurs opérateurs industriels, au-delà d’Holcim, se disent désormais intéressés par cette matière première non conventionnelle.
Vers une nouvelle filière industrielle ?
Les avantages sont pourtant multiples :
- réduire les coûts et les volumes de dragage,
- prolonger la durée de vie des barrages,
- diminuer l’extraction d’argile et son impact écologique,
- transformer un déchet émetteur de CO₂ en produit valorisé,
- créer une nouvelle source de revenus pour l’ANBT.
La question reste désormais en suspens : quand cette ressource sera-t-elle réellement intégrée dans une filière industrielle structurée ?
Les études sont là, les industriels aussi. Il ne manque plus qu’un geste réglementaire pour passer de l’expérimentation à la généralisation.
