Escalade en mer des Caraïbes : les États-Unis et le Venezuela au bord du gouffre
Par : Darine.N
Washington et Caracas, deux capitales rivales, se toisent à travers les eaux turquoise des Caraïbes. Une flotte américaine massive, renforcée par un porte-avions géant, patrouille à quelques encablures des côtes vénézuéliennes, tandis que Nicolás Maduro mobilise milices et civils pour une “défense armée”. Au menu : frappes létales contre des bateaux présumés narcotrafiquants, accusations d’“exécutions extrajudiciaires” par l’ONU, et des rumeurs persistantes de “changement de régime”. Cette escalade, qui fait écho à la crise des missiles de Cuba en 1962, pourrait-elle embraser l’Amérique latine ? Retour sur une poudrière qui sent le pétrole et la poudre.
Une armada américaine : “Guerre contre la drogue” ou prélude à l’invasion ?
Depuis mi-août, l’administration Trump déploie une force militaire sans précédent dans les Caraïbes : huit navires de guerre, un sous-marin nucléaire, des F-35, des B-52, et désormais le porte-avions USS Gerald R. Ford, le plus grand du monde, avec 6 500 troupes à bord. Officiellement, c’est pour éradiquer le narcotrafic : des bateaux rapides, soupçonnés de liens avec des cartels comme le Tren de Aragua ou l’ELN colombien, sont traqués et coulés en eaux internationales. Le bilan est lourd : au moins 43 morts depuis septembre, dont des civils de Trinidad-et-Tobago et de Colombie, lors de six à dix frappes aériennes.
Mais derrière le discours sécuritaire, les analystes y voient une stratégie plus sombre. “C’est un glissement vers le régime change”, alerte l’International Crisis Group, soulignant que les “Night Stalkers” – hélicoptères d’élite pour infiltrations spéciales – ont été repérés à 90 miles des côtes vénézuéliennes. Donald Trump, qui a doublé la prime sur la tête de Maduro à 50 millions de dollars, a approuvé des opérations CIA secrètes et envisage des frappes terrestres contre des “installations de cocaïne” au Venezuela. “Nous pourrions étendre nos attaques sur terre”, a-t-il déclaré jeudi, minimisant le besoin d’approbation congressionnelle.
Maduro sur le qui-vive : “Un Vietnam tropical”
À Caracas, l’atmosphère est paranoïaque. Nicolás Maduro, au pouvoir depuis 2013 et accusé par Washington de “narco-terrorisme”, a déclaré l’état d’urgence et mobilisé la Milice bolivarienne – incluant seniors sans expérience militaire – pour une “préparation du peuple” à une invasion. “Si les États-Unis attaquent, ce sera un Vietnam tropical”, a-t-il averti, évoquant des alliances avec la Russie et la Chine pour contrer l’“impérialisme yankee”. Des exercices d’évacuation massive ont été lancés, et les leaders chavistes changent de téléphones et de gardes du corps quotidiennement.
L’opposition vénézuélienne est divisée : María Corina Machado, lauréate du Nobel de la Paix 2025, critique les frappes US qui “tueraient plus que les cartels”, tout en plaidant pour une transition pacifique. Sur le terrain, l’économie – asphyxiée par l’hyperinflation (270 % en 2025, projetée à 680 % en 2026) et les sanctions – prime sur les craintes militaires. “On s’inquiète plus du caddie vide que des warships”, confie un économiste caraqueño.
L’ONU et le monde : un “double standard” criant ?
L’escalade alarme l’international. Des experts de l’ONU qualifient les frappes de “exécutions extrajudiciaires”, violant le droit international, et appellent à la retenue. Lors d’une session d’urgence du Conseil de sécurité le 10 octobre, la Russie a fustigé le “principe cowboy” de Washington, tandis que des alliés US comme la France et la Grèce plaident pour le dialogue. Le Secrétaire général adjoint Miroslav Jenča a averti d’un “risque croissant pour la paix régionale”.
La Colombie voisine, sous Gustavo Petro, refuse d’héberger des bases US et dénonce les attaques touchant des Colombiens. L’Europe reste muette, accusée de “double standard” : on condamne Poutine en Ukraine, mais on excuse Trump ici ? Sur X, les débats en espagnol et français explosent : “USA font à Maduro ce qu’Israël fait à la Palestine”, ou “Vietnam bis en Caraïbes”. Un post viral alerte : “La plus grande aufrüstung depuis Cuba, et les médias préparent le narratif : on est les gentils.”
Le pétrole : l’éléphant dans la pièce
Au-delà des cartels, c’est le sous-sol vénézuélien qui fait saliver : 300 milliards de barils, les plus grandes réserves mondiales. Maduro avait offert un “contrôle dominant” sur l’or noir pour apaiser Trump, mais les négociations ont capoté. Les sanctions US, en place depuis 2017, ont provoqué un exode de 7 millions de Vénézuéliens et une crise humanitaire. Des faucons comme Marco Rubio (secrétaire d’État) et Pete Hegseth (secrétaire à la Défense) poussent pour un durcissement, voyant en Maduro un “narco-dictateur” à abattre.
Aux États-Unis, les démocrates comme le sénateur Mark Kelly s’inquiètent : “Combien de fois le régime change a-t-il bien tourné ? Vietnam, Iraq, Afghanistan… Ça met des vies américaines en danger.” Le Venezuela, avec son terrain varié et sa saison des ouragans, n’est pas une promenade de santé militarisée.
Vers la guerre ou un sursaut diplomatique ?
Pour l’heure, un dialogue indirect via des émissaires comme Richard Grenell est évoqué, mais la flotte US reste en position, et Maduro sur le pied de guerre. “Nous ne voulons pas la guerre, mais nous la gagnerons”, a réitéré le président vénézuélien. Si l’escalade continue, on risque un chaos régional : débordements frontaliers, implication de l’Iran ou de la Chine, et une Amérique latine déstabilisée.
Les Caraïbes, berceau de rythmes ensoleillés, pourraient bien devenir le théâtre d’un drame géopolitique. Reste à savoir si la diplomatie rattrapera les canons – ou si le pétrole coulera rouge de sang.
