Maroc : La jeunesse en colère face à un pouvoir sourd à ses revendications
Rabat – Trois semaines après le début du mouvement Gen Z 212, la contestation populaire ne faiblit pas au Maroc. Née d’un profond mal-être social et portée essentiellement par la jeunesse, cette mobilisation dénonce une gouvernance jugée déconnectée des réalités quotidiennes des Marocains.
Depuis le 27 septembre, des manifestations ont lieu dans les principales villes du royaume. Samedi dernier encore, des milliers de jeunes ont défilé pour crier leur ras-le-bol, accusant le gouvernement de privilégier les grands projets de prestige, comme la Coupe du Monde 2030, au détriment des besoins fondamentaux de la population. Le slogan phare des manifestants résume bien l’état d’esprit général : « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? »
Une jeunesse oubliée, une économie étranglée
Selon les dernières données du Conseil économique, social et environnemental marocain, 1,5 million de jeunes âgés de 15 à 24 ans sont totalement livrés à eux-mêmes : ni emploi, ni études, ni formation. Le chômage dans cette tranche d’âge atteint 36,7 %, et 73 % de ceux qui travaillent le font sans contrat, donc sans protection sociale. À cela s’ajoute l’absence de dispositifs de soutien ou d’accompagnement pour cette jeunesse marginalisée.
Ce malaise s’inscrit dans un contexte économique tendu. En 2025, la dette publique totale du Maroc a franchi le seuil des 100 % du PIB, alors qu’elle s’établissait à 91 % en 2023. La seule dette extérieure s’élève à près de 85 milliards de dollars. Et pour combler le déficit budgétaire de cette année, Rabat doit encore emprunter 6,5 milliards de dollars sur les marchés internationaux.
Une santé publique en crise
Parallèlement, les restrictions budgétaires dans la santé ont provoqué un effondrement des services hospitaliers. En août dernier, huit femmes sont décédées à l’hôpital d’Agadir faute de soins après des accouchements par césarienne. Cet épisode tragique a marqué un tournant dans la contestation.
Le retard structurel est criant : en 2024, le Maroc ne comptait que 0,79 médecin pour 1.000 habitants, contre 1,66 en Algérie en 2022. Le pays ne dispose que de 0,93 lit d’hôpital pour 1.000 habitants, bien en deçà des normes internationales. À titre de comparaison, l’Algérie en recensait 1,63 dès 2017. Le Maroc comptait en 2024 seulement 166 hôpitaux publics, contre plus de 300 en Algérie, dont 16 CHU.
Coupe du monde 2030 : une priorité contestée
Le gouvernement Akhannouch continue pourtant de concentrer ses efforts et ses emprunts sur les préparatifs de la Coupe du Monde 2030, un projet jugé pharaonique par les protestataires. Entre 6 et 8 milliards de dollars devront être empruntés chaque année d’ici 2030 pour financer les stades et infrastructures exigés par la FIFA.
Pour de nombreux observateurs, cette orientation budgétaire illustre une priorité donnée à l’image internationale du Maroc, au détriment de la santé, de l’éducation, ou encore de la lutte contre la pauvreté.
Un pouvoir resté silencieux
Le discours du roi Mohammed VI devant le Parlement, il y a plus d’une semaine, n’a pas abordé les revendications portées par le mouvement Gen Z 212. Une absence de réponse qui a renforcé la colère des jeunes.
Dans un rapport publié en 2024, l’organisation Attac a dénoncé une stratégie d’endettement massif destinée à rassurer les marchés financiers, mais aux conséquences lourdes pour les classes populaires. « Derrière les discours de relance, ce sont surtout les intérêts étrangers et le secteur privé qui sont servis », note l’association.
Une contestation appelée à durer
Alors que le stress hydrique, la sécheresse, et la précarité sociale s’intensifient, la jeunesse marocaine, largement majoritaire dans le pays (60 % de la population a moins de 30 ans), refuse de rester silencieuse.
Le mouvement Gen Z 212, qui compte désormais plus de 200.000 abonnés sur les réseaux sociaux, semble s’installer dans la durée. Si aucune réponse politique forte n’est apportée rapidement, le Maroc pourrait faire face à une crise sociale d’une ampleur inédite.
