Maroc : Soixante personnalités appellent Mohammed VI à une réforme profonde face à la contestation sociale
À la veille du discours royal prévu pour le 10 octobre, soixante figures marocaines issues du monde académique, artistique, juridique et militant ont signé une lettre ouverte adressée au roi Mohammed VI, l’exhortant à prendre des mesures profondes et urgentes face à la crise sociale qui secoue le royaume depuis plus de dix jours.
Parmi les signataires, on retrouve des voix connues comme Maâti Monjib, Omar Radi ou Fouad Abdelmoumni, qui dénoncent une situation alarmante et appellent le souverain à assumer pleinement sa responsabilité dans un pays où, selon leurs mots, « le roi détient l’autorité ultime, et donc la responsabilité ultime ».
Cette mobilisation intervient dans un contexte de colère grandissante, amplifiée par un drame survenu à l’hôpital public d’Agadir, où huit femmes enceintes ont perdu la vie. Ce tragique événement a ravivé un profond sentiment d’abandon et de révolte, en particulier chez les jeunes, qui dénoncent un système de santé défaillant et, plus largement, un modèle de gouvernance jugé inégalitaire, opaque et prédateur.
Sous le mot d’ordre GenZ 212, des milliers de jeunes manifestent quotidiennement dans les grandes villes du pays. Ce mouvement, né sur les réseaux sociaux, a rapidement pris une tournure politique, devenant la plus grande vague de contestation depuis le Hirak du Rif. Mais contrairement aux mouvements précédents, la colère de cette nouvelle génération vise désormais directement les fondements du régime, en particulier le Makhzen, cette structure informelle de pouvoir centralisé et opaque dont la monarchie constitue la pièce maîtresse.
Dans leur lettre, les signataires critiquent vertement le gouvernement d’Aziz Akhannouch, perçu comme un écran de fumée déconnecté des réalités sociales. Pour eux, même la démission de l’exécutif – principale revendication du mouvement GenZ 212 – ne saurait suffire, tant que la véritable source du pouvoir, la monarchie, reste intouchée.
Ils avancent une série de propositions concrètes :
- Moralisation de la vie publique,
- Lutte contre la corruption et le clientélisme,
- Réorientation des investissements vers la santé, l’éducation et l’emploi, plutôt que vers des projets jugés « prestigieux mais inutiles » comme les stades géants ou les trains à grande vitesse,
- Réforme constitutionnelle réelle, rompant avec les ajustements cosmétiques de 2011,
- Dialogue national inclusif, visant à restaurer la confiance entre l’État et la société.
Les signataires insistent également sur une exigence centrale : la libération immédiate de tous les prisonniers politiques et d’opinion, en particulier ceux du Hirak du Rif, mais aussi les prisonniers sahraouis, dont les détenus de Gdeim Izik. Sans cette reconnaissance du droit à la dissidence et sans rupture avec la répression systématique, toute tentative de réforme resterait, selon eux, dénuée de crédibilité.
En toile de fond, les auteurs de la lettre évoquent aussi la question du Sahara Occidental, qualifiée d’éléphant dans la pièce. Pour eux, aucune réforme structurelle sérieuse ne pourra être engagée sans reconsidérer cette occupation, qui mobilise une part massive des ressources du pays et alimente une logique sécuritaire au détriment du développement.
La monarchie marocaine se retrouve donc à un moment charnière. Le texte ne se contente pas de pointer la gravité de la crise : il acte aussi la rupture entre une partie grandissante de la population – en particulier la jeunesse – et les institutions du pouvoir. Une jeunesse qui ne croit plus aux promesses, ni aux réformes imposées d’en haut, et qui n’hésite plus à remettre en question le cœur même du système monarchique.
Face à cette pression sans précédent, Mohammed VI est appelé à faire un choix historique : soit répondre à l’appel au changement, soit poursuivre dans une fuite en avant jugée par les signataires comme « suicidaire ». Ils avertissent que les appuis traditionnels du régime – notamment la France et Israël – sont eux-mêmes en crise, et ne sauraient garantir une protection éternelle à un pouvoir qui refuserait de se transformer.
Le Maroc semble ainsi à la croisée des chemins : entre une possible refondation démocratique, et la perpétuation d’un modèle autoritaire de plus en plus contesté.
