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Une aide controversée : la Gaza Humanitarian Foundation entre espoir humanitaire et zones d’ombre

Par : Amani H.

Sur le papier, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) semble représenter une initiative humanitaire audacieuse et innovante. Présentée comme une organisation capable de répondre efficacement à la crise humanitaire qui sévit dans la bande de Gaza, elle promet d’apporter un soutien alimentaire, sanitaire et logistique aux 2,3 millions d’habitants de cette enclave palestinienne, tout en garantissant, selon ses fondateurs, que cette aide ne puisse être détournée par le Hamas. Dans un territoire où la pénurie alimentaire, la destruction des infrastructures, et l’effondrement du système de santé rendent la vie quotidienne insoutenable pour une grande partie de la population, ce projet semble à première vue salutaire. Pourtant, derrière cette façade se cache une opération beaucoup plus complexe, qui soulève de nombreuses interrogations.

Créée par un groupe d’anciens responsables du renseignement et de la défense américains, ainsi que par des chefs d’entreprise, la GHF opère en étroite coordination avec les autorités israéliennes, comme l’a révélé une enquête du Washington Post. Dès le lundi 26 mai, elle a commencé à distribuer de la nourriture, de l’eau potable et des kits d’hygiène via des centres de distribution installés à Gaza et sécurisés non pas par des forces de l’ONU ou des ONG traditionnelles, mais par des entrepreneurs privés engagés pour assurer le bon déroulement des opérations. Une approche inédite dans un contexte de guerre, où la sécurité et l’accès humanitaire sont généralement négociés entre parties belligérantes et observées par des institutions neutres.

Selon ses porte-paroles, la fondation entend atteindre plus d’un million de Gazaouis d’ici la fin de la semaine. Un objectif ambitieux qui, s’il était atteint, représenterait un soulagement temporaire pour une population prise en étau entre les bombardements, les blocus, et les carences structurelles. Mais derrière ces intentions humanitaires se cache une mécanique bien plus opaque, tant sur le plan juridique que politique.

D’abord, la GHF est juridiquement enregistrée en Suisse, un pays reconnu pour sa neutralité diplomatique, mais aussi pour ses lois permissives sur la confidentialité des structures juridiques et des fonds. Or, ni les fondateurs de la fondation, ni les autorités suisses, ni les documents disponibles ne précisent qui sont les donateurs derrière le projet. Jake Wood, l’ancien directeur exécutif de la fondation, avait toutefois laissé entendre que « des hommes fortunés » ainsi qu’« un pays d’Europe de l’Ouest » avaient contribué à hauteur de 100 millions de dollars. Ni les noms de ces individus ni celui du pays en question n’ont été révélés, ce qui alimente les soupçons d’une opération plus géopolitique qu’humanitaire.

Du côté des États-Unis, le département d’État a réagi avec prudence. « Il s’agit d’un plan indépendant », a indiqué Tommy Pigott, porte-parole adjoint, ajoutant toutefois que Washington « approuvait » l’idée dans la mesure où elle constituait « une solution créative » à la crise humanitaire. Mais aucune précision n’a été donnée sur un éventuel soutien logistique, diplomatique ou financier apporté par les États-Unis. Une prudence qui en dit long sur la sensibilité politique entourant ce projet, dans un contexte où l’aide à Gaza est au cœur d’intenses débats internationaux.

La polémique a franchi un cap supplémentaire lorsque Jake Wood a annoncé sa démission surprise, à peine quelques heures avant le lancement officiel des opérations sur le terrain. Dans un communiqué publié peu après son départ, l’ancien directeur exécutif a expliqué qu’il ne pouvait plus garantir que la fondation respectait les principes fondamentaux de l’action humanitaire : humanité, neutralité, impartialité et indépendance. « Je suis fier du travail que j’ai supervisé, notamment de l’élaboration d’un plan pragmatique permettant de nourrir les personnes affamées, de répondre aux problèmes de sécurité liés au détournement de l’aide et de compléter le travail des ONG présentes de longue date à Gaza », a-t-il déclaré. Mais il a aussitôt tempéré cette fierté par une critique sans appel : « Il est clair qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre ce plan tout en respectant strictement les principes humanitaires, que je n’abandonnerai pas. »

Ces propos ont renforcé les critiques émanant de certaines ONG et experts en droit humanitaire. Pour plusieurs observateurs, le rôle central joué par des anciens des services de renseignement américains et les liens opérationnels directs avec Israël posent un véritable problème d’indépendance. Dans un territoire où toute présence étrangère est scrutée à la loupe, et où les ONG humanitaires elles-mêmes doivent faire preuve d’un équilibre délicat pour maintenir leur accès à la population tout en restant neutres, l’arrivée d’une organisation aussi étroitement liée à des intérêts étatiques suscite un profond malaise.

De plus, le recours à des entreprises privées de sécurité pour encadrer la distribution de l’aide est perçu comme une ligne rouge franchie. Ces acteurs, rarement utilisés dans des contextes de grande pauvreté civile, sont traditionnellement associés à des missions militaires ou à la protection d’intérêts économiques. Leur implication dans la logistique humanitaire soulève la crainte d’un glissement vers une forme de privatisation de l’aide, où les enjeux humanitaires seraient subordonnés à des considérations stratégiques, voire sécuritaires.

Alors que Gaza connaît l’une des crises humanitaires les plus aiguës de son histoire récente, les habitants attendent avant tout de la nourriture, de l’eau, des soins et une protection minimale. Si la Gaza Humanitarian Foundation parvient effectivement à fournir ces éléments de base à grande échelle, elle jouera sans doute un rôle crucial. Mais à quel prix, et avec quelles conséquences à long terme pour le principe de neutralité de l’aide humanitaire ?

Dans ce contexte de suspicion, la fondation devra rapidement faire preuve d’une transparence exemplaire si elle souhaite obtenir la confiance de la communauté humanitaire internationale. Sans cela, même les meilleures intentions risquent de se heurter à une méfiance généralisée, compromettant l’efficacité de l’aide et aggravant encore les souffrances d’une population déjà à bout de souffle.

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