Immigration : la Cour suprême suspend les expulsions express de Vénézuéliens décidées par Trump
Par : Amani H.
La plus haute juridiction américaine inflige un nouveau revers à Donald Trump en gelant son programme controversé d’expulsions d’immigrés vénézuéliens. En cause : des procédures jugées expéditives, un recours contesté à une loi de 1798, et des garanties légales jugées insuffisantes.
Une loi d’exception sortie des archives
La décision de la Cour suprême américaine, rendue vendredi 16 mai, met un sérieux coup d’arrêt à l’une des mesures phares de Donald Trump sur l’immigration. L’ex-président républicain, actuellement en campagne pour 2024, avait relancé en mars un programme ciblé d’expulsions de ressortissants vénézuéliens, en invoquant une loi vieille de 226 ans : l’Alien Enemies Act, adoptée en 1798, et rarement utilisée depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cette loi, initialement conçue pour expulser des ressortissants étrangers en temps de guerre, avait été mobilisée par Trump pour justifier le renvoi rapide de plusieurs centaines de Vénézuéliens, en majorité accusés d’avoir des liens avec le gang Tren de Aragua, une organisation criminelle d’origine vénézuélienne considérée comme terroriste par les autorités américaines. Le 12 mars, 250 personnes étaient expulsées vers le Salvador, où plus de la moitié ont été placées dans des centres pénitentiaires à sécurité maximale.
Des expulsions « sans garantie judiciaire »
Mais cette stratégie de renvoi express a rapidement déclenché une tempête judiciaire. Saisie par des associations de défense des droits civiques et des avocats d’immigrés, la Cour suprême avait déjà prononcé une première suspension du programme le 19 avril. Vendredi, elle est allée plus loin en prolongeant le gel de ces expulsions, pointant de graves irrégularités procédurales.
Parmi les griefs évoqués : un préavis de moins de 24 heures, une absence quasi totale d’informations fournies aux personnes visées, et l’impossibilité pour elles de faire appel. « Ces conditions ne sont pas compatibles avec les principes fondamentaux du droit à un procès équitable », ont estimé sept juges sur neuf, dont le président de la Cour, John Roberts, pourtant issu du camp conservateur.
Trump furieux, la droite dénonce une « ingérence »
La réaction de Donald Trump ne s’est pas fait attendre. Sur son réseau Truth Social, il a dénoncé une « honteuse décision », accusant la Cour suprême de « protéger les criminels étrangers ». « LA COUR SUPRÊME NE VEUT PAS NOUS LAISSER CHASSER LES CRIMINELS DE NOTRE PAYS », a-t-il écrit en lettres majuscules. Son entourage évoque une volonté politique de lui nuire à l’approche de la présidentielle.
Dans les rangs républicains, les critiques fusent. Plusieurs sénateurs conservateurs ont accusé les juges de « trahir les prérogatives du pouvoir exécutif ». Le parti affirme que cette décision entrave des mesures jugées nécessaires à la sécurité nationale, dans un contexte de tensions croissantes à la frontière sud.
Le dossier renvoyé devant une cour fédérale
Concrètement, la Cour suprême ne juge pas encore l’ensemble du programme illégal, mais renvoie l’affaire devant une cour d’appel fédérale, avec pour mission de trancher deux questions clés : la légalité de l’usage de la loi de 1798 dans un contexte de paix, et le respect des droits fondamentaux des personnes expulsées. Elle invite les juges à statuer « rapidement » compte tenu des enjeux sécuritaires.
Mais en attendant, toute expulsion basée sur cette loi est suspendue, ce qui constitue un camouflet pour l’administration Trump, qui avait fait de cette mesure un symbole de fermeté face à l’immigration clandestine.
Des précédents inquiétants, selon les ONG
Pour les organisations de défense des droits humains, la tentative de Trump d’utiliser une loi d’exception dans un contexte migratoire courant constitue un précédent dangereux. « Nous ne sommes pas en guerre avec le Venezuela. Il n’y a aucune justification à appliquer une loi d’ennemis étrangers pour expulser des demandeurs d’asile », dénonce l’ONG Human Rights First.
Plusieurs experts s’inquiètent également de la logique de ciblage collectif mise en place : « Des personnes ont été expulsées sans preuve concrète de leur lien avec des gangs. Leur seule nationalité ou présence sur certains fichiers suffisait », affirme une avocate de l’American Civil Liberties Union (ACLU), partie plaignante dans l’affaire.
Un enjeu électoral majeur
En toile de fond de cette décision, se dessine un bras de fer politique d’ampleur. À moins de six mois de l’élection présidentielle, Donald Trump a fait de l’immigration un thème central de sa campagne, promettant une reprise en main totale de la frontière, l’expulsion massive de clandestins, et l’extension des pouvoirs présidentiels en matière migratoire.
Ce revers judiciaire pourrait toutefois freiner ses ardeurs et raviver les divisions internes, y compris chez les conservateurs modérés, attachés à un certain respect de l’État de droit. Pour l’heure, le débat reste ouvert — sur le fond juridique comme sur les orientations politiques d’un futur possible mandat Trump.