13 1Actualités Monde 

La fin d’une ère : le PKK annonce la dissolution de sa branche armée, tournant historique pour la Turquie et les Kurdes

Une page marquante de l’histoire contemporaine de la Turquie vient de se tourner. Ce lundi, dans un communiqué relayé par l’agence prokurde ANF, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a officiellement annoncé la dissolution de sa structure armée, mettant fin à une guérilla commencée en 1984 et ayant coûté la vie à plus de 40 000 personnes. Ce revirement historique survient après le 12ᵉ Congrès du mouvement, qui a acté la fin de la lutte armée au profit de voies politiques et civiles.

C’est un événement d’une ampleur considérable, tant la présence du PKK a pesé sur l’histoire politique, sociale et sécuritaire de la Turquie ces quarante dernières années. Depuis son apparition dans les années 1970, et surtout depuis le déclenchement du conflit ouvert en 1984, le PKK a été au cœur d’un des conflits internes les plus longs et les plus meurtriers d’Europe et du Moyen-Orient. En tant qu’organisation considérée comme terroriste par Ankara, l’Union européenne et les États-Unis, sa lutte a structuré en profondeur les relations entre l’État turc et sa minorité kurde, qui représente selon certaines estimations environ 20 % des 85 millions d’habitants de la Turquie.

L’annonce de cette dissolution intervient dans un climat inédit. Le 27 février dernier, le leader emblématique du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999 dans des conditions d’isolement extrême sur l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul, a surpris en lançant un appel clair et solennel à l’abandon de la lutte armée. Dans un message relayé par ses avocats, il a demandé à ses partisans de tourner la page de la violence, pour s’inscrire dans un nouveau cycle d’engagement pacifique.

Cet appel n’est pas apparu spontanément. Il est le fruit d’une médiation discrète mais stratégique, initiée à l’automne dernier par Devlet Bahçeli, chef du Parti d’Action Nationaliste (MHP), allié influent du président Recep Tayyip Erdogan. Fait remarquable, cette tentative de rapprochement s’est faite en coordination avec le parti prokurde DEM, ce qui témoigne d’un changement de ton rare dans un climat politique d’ordinaire polarisé sur la question kurde.

Le 1er mars, en réponse à Öcalan, le PKK avait déjà déclaré un cessez-le-feu unilatéral avec les forces turques. Cette décision avait été saluée par plusieurs analystes comme un tournant potentiel dans les relations turco-kurdes. Le président Erdogan lui-même, souvent intransigeant à l’égard du PKK, a qualifié cette initiative de « chance historique » pour une réconciliation durable entre les deux peuples.

Le conflit entre le PKK et l’État turc, qui s’est intensifié au fil des décennies, a profondément marqué la société turque. Les années 1990 ont été les plus sanglantes, avec des dizaines de milliers de morts, des villages kurdes rasés, des déplacements massifs de population et des violations massives des droits humains des deux côtés. Si le PKK affirmait lutter pour les droits culturels, politiques et linguistiques du peuple kurde, ses méthodes – attentats à la bombe, embuscades, recrutements forcés – ont suscité de nombreuses critiques, y compris au sein de la population kurde. De son côté, l’État turc a longtemps refusé toute reconnaissance des spécificités kurdes, menant une politique d’assimilation et de répression particulièrement dure.

Dans les années 2010, des tentatives de paix avaient été lancées. Un processus de négociation entre le gouvernement et le PKK avait même abouti à un cessez-le-feu prolongé entre 2013 et 2015. Mais après les élections de juin 2015, marquées par une percée historique du parti prokurde HDP au parlement, le dialogue a été rompu, et la guerre a repris avec une violence accrue. Depuis, le conflit s’était enlisé, les opérations militaires se multipliant dans le sud-est de la Turquie et au nord de l’Irak, bastion historique du PKK.

Aujourd’hui, la décision du PKK de se dissoudre marque donc une rupture nette avec ce passé conflictuel. Mais elle pose aussi de nombreuses questions. Quelles garanties l’État turc est-il prêt à offrir aux anciens membres du mouvement ? Une réelle ouverture politique aux revendications kurdes est-elle envisageable dans un système fortement centralisé et dominé par l’idéologie nationaliste ? Quelle place pour le parti DEM et les autres mouvements kurdes dans le jeu démocratique à venir ? L’expérience récente laisse entrevoir des incertitudes. La répression judiciaire contre les figures politiques kurdes, les arrestations d’élus locaux, les accusations de liens avec le PKK – souvent utilisées pour discréditer toute opposition kurde – ne laissent pas encore présager d’un changement de paradigme clair.

Sur la scène régionale, cette décision pourrait également avoir des répercussions. Le PKK, en plus de ses activités en Turquie, est lié à d’autres entités kurdes, comme les YPG en Syrie ou des milices présentes dans le nord de l’Irak. Son retrait progressif de la lutte armée pourrait favoriser une nouvelle lecture des relations entre la Turquie et ses voisins, et éventuellement desserrer certaines tensions sécuritaires aux frontières.

Mais l’Histoire, en Turquie, a appris à rester prudente. Car si cette annonce ouvre la porte à une désescalade, la méfiance reste forte de part et d’autre. Ce qui est certain, c’est que l’arrêt de la lutte armée par le PKK, après plus de quarante ans de guerre, représente un événement majeur dans l’histoire du pays. Un espoir fragile, mais réel, de paix durable.

Articles relatifs

Leave a Comment